Les événements tragiques que nous vivons et le fait d’entendre que nous sommes en guerre (d’une autre manière que celle des fronts d’antan), me poussent à partager quelques paragraphes de mes « Mémoires » en écriture. Nous aurons donc eu deux générations dans une paix relative…
Extrait de « Drôles de Mémoires » :
Rien n’arrive par hasard. Si l’on remonte le fil du temps, c’est d’une telle évidence ! J’ai mis en exergue de mon roman Un équilibre fragile cette phrase de Jean Cocteau : «La carte de notre vie est pliée de telle sorte que nous ne voyons pas une seule grande route qui la traverse, mais au fur et à mesure qu’elle s’ouvre, toujours une petite route neuve. Nous croyons choisir et nous n’avons pas le choix. » (Le grand écart)
Tout remonte donc à l’enfance.
Elle fut marquée par la fin de la guerre. Les parents racontaient peu. J’avais deux frères plus âgés qui, eux, me racontèrent quelques exploits familiaux. Comme ce début de soirée, où un oncle résistant était venu se réfugier à la maison. Sa présence fut dénoncée et des soldats allemands se présentèrent en armes. Pour laisser le temps à notre oncle de s’enfuir par les toits, on les fit patienter. Mais à coups de crosse, les soldats brisèrent la solide porte de verre et de fer forgé. Ils fouillèrent la maison et tandis qu’on interrogeait ma mère, des gardes en armes restèrent en faction toute la nuit à côté des lits des enfants. Mon oncle s’est enfui jusque sur le toit d’un hangar qui forme le coin de mon avenue. Dans l’obscurité il fit une brèche et se laissa tomber au risque de se fouler une cheville ou pire, car c’était une société de ferrailles et il aurait pu tomber sur des tiges de fer dressées. La société appartenait à l’« ancêtre » de la famille, comme nous l’avons appelé plus tard avec tendresse. Comme c’était également un chef du réseau Bravery (Héroïsme, courage) de la résistance locale, il fit sortir le lendemain matin mon oncle sans dommage, en le dissimulant dans un camion de sa firme. Les soldats étaient toujours en faction chez moi.
Mais comme on me racontait peu, tout cela était flou. Une grande partie des frères et sœurs de ma mère – huit enfants – furent prisonniers en Allemagne. Les plus jeunes, encore adolescents, firent partie des services de renseignement. On parlait à mots couverts de tortures, de privations. Pour me renseigner, je feuilletais en cachette un gros livre rouge intitulé, je crois, « Nos Héros » et je m’attardais avec effroi sur les photos des cellules, des chaînes qui y pendaient, des villages détruits et des prisonniers squelettiques vêtus d’oripeaux à rayures derrière les barbelés.
Au-delà de ces frayeurs, le discours ambiant était « N’en parlons plus ! Ce fut la dernière ! Plus jamais de guerre ! » et je m’y suis accroché.
Mon angoisse fut terrible lorsque éclata la guerre de Corée en 1950. Je me souviens du « 38e parallèle ». J’avais sept ans et je vivais des cauchemars horribles. De plus, prenant facilement froid, ma fièvre montait très haut, je délirais, je hurlais – les scènes entrevues dans le livre prenaient vie, auxquelles s’ajoutaient les peurs religieuses. Trop jeune pour faire la part des choses, je crus tout ce qu’on me racontait et même « qu’il était plus difficile pour un riche d’entrer dans le royaume des cieux qu’à un chameau de passer par le chas d’une aiguille ». Ce fut une scène de délire récurrente !
mchristinegrimard a dit:
De tout cœur avec vous et vos proches cher Jacques, courage !
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jacquesmercier a dit:
Merci !
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Vandenbergen a dit:
merci je crois que lorsque l’on a la paix en nous on est plus ouvert aux autres
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jacquesmercier a dit:
Vous avez raison, la vraie Vie est en nous ! Merci
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Gaétan Reckinger a dit:
Quelle période bien sombre nous traversons…
Je ne m’étendrai pas sur le « quel monde laisserons-nous à nos enfants? »… ça ne ferait que raviver les pensées effrayées qui me traversent l’esprit au moins cinq fois par jour… Ils ont 2 et 6 ans… A nous de leur inculquer le respect des autres et la tolérance…
Mais, comme je l’entendais sur une chaîne française hier soir, affirmer que nous sommes en guerre – et par là-même placer un mot concret et réaliste sur ce qui se passe autour de nous – ne donne-t-il pas à ceux qui par conséquent seraient devenus nos ennemis l’argument qui deviendrait dramatiquement réaliste de pouvoir alors user de moyens …de guerre…avec toutes les conséquences qui en découlent?
Le débat est large… torturant… effrayant… noir…mais il est là…bien présent…il nous faut l’affronter de face.
Puissent les générations futures connaître la paix et la sérénité que nous leur souhaitions de tout notre cœur, de toute notre âme…comme une supplique à ces Dieux qui sont si souvent invoqués maladroitement, vicieusement…
L’opium qu’était la religion serait-il devenu une sorte d’adrénaline que s’injectent certains fous? Il faut malheureusement croire que oui…
Paix à l’âme de toutes les victimes innocentes,de mardi en Belgique, d’hier dans le monde et de demain, où qu’elles soient.
La devise de mon pays est « Nous voulons rester ce que nous sommes » et celle de mon pays de cœur « l’Union fait la force » …
Elles résument parfaitement à elles deux ce qui doit nous aider à tenir et à devenir plus forts…
Amitiés à tous et merci à Jacques pour ces textes toujours plus fascinants les uns que les autres.
Bonne fête de Pâques.
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jacquesmercier a dit:
Merci, Gaetan, pour ce superbe message !
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Hannecart Anne Marie a dit:
Cela me fait penser au texte de Béatrice Dlvaux .Pour ma part j’ai aussi subi ces non -dits dans ma jeunesse ..mon père en parlait peu ce qui laissait libre court à mon imagination . Merci pour vos textes où je me retrouve souvent .
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jacquesmercier a dit:
Merci, Anne-Marie !
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Agnès a dit:
Monsieur Jacques,
Merci de vous être exprimé sur la désolation que vit actuellement notre monde !
Pâques, avec ou sans religion, est une période de paix pour tous comme vous l’illustrez si bien avec votre jolie photo.
Même le ciel sanglote .
Je suis très triste comme beaucoup car la méchanceté de certains humains est irrécupérable et ne laisse aucun repos aux courageux et effectivement comment motiver » nos petits en herbe »
bonne écriture et séjour à la mer si vous y allez.
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jacquesmercier a dit:
Merci, Agnès !
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Christine a dit:
Que j’aime vous lire…
En ce qui concerne le chameau, pour qu’il puisse passer dans le chas d’une aiguille, il lui faudrait faire un régime minceur 😉 ou demander à Dieu un miracle ! OUI un miracle, c’est ce qu’il nous faudrait en ce moment car je crains le pire…Dieu, où êtes vous ?
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jacquesmercier a dit:
Merci, la réponse est peut-être : en nous…
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rollandstgelais a dit:
Que puis-je dire de plus que de vous manifester spirituellement tout mon support en ces jours si difficiles que nous traversons en tant que société civilisée. Bon courage à vous!
P.S.J’ai bien écrit « nous » puisque nous sommes tous touchés de près ou de loin par les événements qui ont eu lieu à Bruxelles.
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jacquesmercier a dit:
merci
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