Le merveilleux fait également partie de cet entre-temps que j’appelle de mes vœux. Le terme désignait les « incroyables », ces excentriques élégants lors du passage du XVIIIe au XIXe siècle. Si on recherche l’histoire du mot « merveille », on trouve de façon logique en langue de l’Eglise « miracle », mais, chose plus étonnante, avant cela « sourire » ou « rire », en sanskrit, par exemple.
Si vous regrettez les contes de votre enfance où tout semblait possible (les bottes de sept lieues, l’invisibilité, le sommeil de cent ans, les fées…), si vous aimez qu’on vous « conte monts et merveilles », alors rien n’est perdu ! Vous pourrez vous évader dans l’ailleurs le temps d’un film, d’une lecture, d’une visite dans un parc d’attractions.
Et ce retour aux sources de votre propre existence aura un effet des plus bénéfiques. Après le silence, la nature, cette faculté de maintenir en soi la fraîcheur et l’innocence voire la naïveté de la petite fille ou du petit garçon que nous étions me semble d’un grand intérêt. On sait depuis les travaux du psychanalyste américain Bruno Bettelheim, et depuis la parution de son essai de 1976 : « Psychanalyse des contes de fée » en particulier, les répercussions de ces lectures sur l’inconscient.
Lorsque à ma grand-mère paternelle, où je passais parfois la nuit quand mes parents s’absentaient, je demandais de me raconter la même histoire avant de m’endormir. Elle s’exécutait avec tant de tendresse et me faisait le même récit d’une nouvelle appelée la « carte », dont je me rappelle le trésor enfoui qu’il fallait déterrer avec des pelles et des bêches en…verre. Cette impossibilité de creuser me terrorisait jusqu’au moment où la conclusion expliquait que, suite à de bonnes actions, ces outils se métamorphosaient en acier ! J’en ai retenu la leçon que rien n’est impossible à qui travaille et est tenace et surtout qu’il ne fallait jamais se fier aux apparences. Ni à celle des choses ni à celle des êtres humains.
Je sais que la triste réalité nous oblige à ne pas toujours faire confiance aux autres, à se tromper, à être victime de la méchanceté, de l’injustice et de la médiocrité, mais il faut garder en soi cette part d’ingénuité. Quitte à se faire mal !
A propos de saint Nicolas, j’y ai cru dur comme fer jusqu’à la cinquième primaire… Personne ne pouvait me faire changer d’avis : mes parents ne pouvaient pas mentir et surtout j’avais tellement envie d’y croire. Le jour où l’instituteur a révélé la chose, je me suis effondré en larmes et le directeur du collège de Mouscron a dû me reconduire chez moi, hoquetant et en proie à un si grand désespoir. On aurait pu m’éviter cette désillusion, mais elle m’a confirmé dans une sensibilité à fleur de peau que je revendique dans mes activités et mes relations avec les autres.
Probablement de la même façon, comme beaucoup, j’éprouve une attirance particulière pour le genre littéraire fantastique, pour tout ce qui touche à l’imaginaire et en Belgique nous en avons des maîtres tels que Thomas Owen, Jean Ray, Anne Richter, Jean Muno, Adamek, Jean-Baptiste Baronian. Oh ! Ce roman de Muno au titre déjà évocateur « L’homme qui s’efface » et qui décrit un instituteur s’envolant, devenant homme-oiseau sous son parapluie : « Il dérive sans heurt vers les maisons qui entourent la place. Il suffirait d’un geste, qu’il allonge le bras, pour s’agripper à cette corniche ; mais il ne tente rien… » Et nous le suivons dans une odyssée étrange qui nous enchante.
Le merveilleux, comme moyen de survivre, de garder la tête hors de l’eau, mais sans que ce ne soit un étourdissement, une fuite. C’est là toute la difficulté et probablement ce qui fait la grandeur de l’homme. Trouver l’équilibre entre son intelligence et sa sensibilité, son côté féminin, artistique et son côté masculin, logique. Cette osmose fait naître l’homme nouveau.
Au fond c’est la foi appliquée par les sciences ! Ce que le savant australien Michaël Denton note dans son livre « L’évolution a-t-elle un sens ? »(Fayard) : « Comme nous l’avons vu, il y a maintenant de nombreuses preuves que l’organisation du cosmos répond à un dessein biocentrique, et l’on peut invoquer des mécanismes plausibles – sur la base des connaissances actuelles en biologie moléculaire – par lesquels l’évolution aurait pu être dirigée. »
Lelius a dit:
J’avais jadis noté cette phrase de Cocteau, qui fait écho à votre propos :
« Plus on est avide, plus il est indispensable de reculer coûte que coûte les bornes du merveilleux. »
Je ne saurais dire dans quel ouvrage je l’avais trouvée.
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jacquesmercier a dit:
Merci pour cette citation. Cocteau fait partie de mes émerveillements aussi 😉
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Zoé Georgoulis Stas a dit:
Merci texte pour ce splendide partage, étoffée de citations les unes plus intéressantes que les autres. Quel plaisir de vous lire !
Pour moi, le merveilleux, un moyen de vivre la vraie vie, pas de survivre ni de fuir.
Le lien avec le merveilleux nous fait prendre conscience de notre potentiel, nos côtés les plus luminieux d’un côté et nos côtés plus sombre à accepter et dépasser, comme dans nos contes d’enfance.
Il y a quelques années ma fille à l’époque de 6 ans est revenue me disant toute penaude que sa maîtresse leur avait dit que les contes sont de l’ordre du merveilleux mais cela n’existe évidemment pas..ni les fées, ni les lutins etc.
Cela m’a posé problème…et dû me questionner. Que devais-je répondre à ma fille ?
Eh bien aujourd’hui, je lui réponds sans hésiter que fées, lutins…existent dans une autre réalité…et que le lien avec le merveilleux est le lien avec notre profondeur, notre potentiel oublié…une façon de vivre la vraie vie…
et qu’avec de la foi, de la bonne volonté, de passion (mais tout se tient), beaucoup de choses dans la vie se transforme en conte de fée.
N’est-ce pas votre cas, Jacques ?
Beau week-end à vous !
Zoé
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jacquesmercier a dit:
Merci Zoé pour ce message qui comprend tout d’abord une magnifique réponse à donner aux enfants lors de ce passage délucat… Et vous avez raison, j’ai l’impression de vivre plusieurs vies, dans la création, dans la réalité, dans l’écriture, etc. Et je les savoure intensément toutes ! 🙂
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Framboise a dit:
Le merveilleux, cet espace fragile menacé de toute part, bien d’accord avec vous Jacques, par le pouvoir, les rivalités envieuses, le non respect de l’autre et de sa différence plaies véhiculées par notre société de consommation. Heureusement il y a notre imaginaire, l’acte créatif et ses effets sur notre confiance intérieure. Ce lieu sacré, au sens de marge, si vivant et libérateur de toutes nos tensions et frayeurs, nous en avons besoin. Il nous ressource, nous le retrouvons, quelque soit notre âge, dans la fête, celle de ceux que nous aimons, celle des voisins, des artistes du cirque, celle des saltimbanques, celle de la musique, de la littérature, de la poésie… Oui, Jacques protégeons et partageons ce monde de l’enfance dans lequel nos sens font vivre les images, la musique des mots, le mouvement, l’irrationnel de notre être. Indispensable activité créatrice qui devient objet de culture grâce à des personnes audacieuses et toujours en projet comme vous. Merci ! 🙂
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jacquesmercier a dit:
Quelle magnifique envolée ! Et merci pour les gentillesses.
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Monique Schrans a dit:
Moi, j’ai appris qui (n’) était (pas) Saint-Nicolas sur la plate-forme du tram 20 à Melle (lez-Gand) en rentrant de l’école.J’avais 9 ans. Au goûter j’ai insulté ma mère comme jamais personne n’a osé le faire avant moi. Elle m’a demandé pardon. Je n’ai pardonné qu’à moitié. Cet épisode, qui m’a fort marquée, est à jamais gravé dans ma mémoire. A mes propres enfants j’ai toujours dit que les parents donnaient des cadeaux en fin d’année pour récompenser les enfants sages.
Vous avez raison, Jacques, ce genre de mensonge pourrait être épargné aux petites âmes sensibles.
Merci pour vos francs papiers.
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jacquesmercier a dit:
Merci, Monique, pour ce témoignage !
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berger elisabeth a dit:
Perdre le sens du merveilleux, c’est renoncer à une grande dimension de la vie et surtout de Soi…
Je continue à lire les contes d’Andersen 😀
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jacquesmercier a dit:
Vous avez raison, Elisabeth, et moi de même et ceux de Perrault aussi !
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Jacqueline Libotte a dit:
Bonjour Jacques ! Vous avez raison : je suis une grand-mère de 67 ans et j’aime toujours les contes ! Je vais en lire à mon p’tit Joseph âgé de 11mois ! Pour l’instant, je lui chante des chansons de mon enfance…il aime cela ! Il faut dire qu’il est fils de deux musiciens sortis de nos Conservatoires Royaux et qu’il adore la musique ! Bonne journée à vous !
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jacquesmercier a dit:
Oui, Jacqueline !
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