J’étais récemment dans un hôpital et je lisais dans une des salles d’attente du service où j’avais pris un rendez-vous. Je fus distrait par un bruit, le claquement d’une paire de chaussures à hauts talons, à talons aiguilles. Ce clic-clac était amplifié par la réverbération des couloirs et devenait de plus en plus présent. Je le trouvais impoli et sûrement dérangeant pour les malades qui se reposaient dans les chambres. Et puis la personne responsable de ce vacarme passa devant moi : c’était une infirmière ! Quelques jours plus tard, essayant de penser aux bruits, à leur place dans notre vie, à leur nuisance et à leur utilité, j’entamai la lecture d’un livre consacré à l’histoire des plantes, avec en particulier des explications passionnantes de Jean-Marie Pelt, ce botaniste de renom qui fonda l’Institut européen d’écologie. Grâce à la découverte de souches d’arbres fossiles, qu’on peut dater de 350 millions d’années, on découvre l’existence sur plusieurs centaines d’hectares de la plus ancienne forêt connue. Cela se situe bien avant les dinosaures. Il n’existe que quelques petits animaux : des mille-pattes venimeux, de minuscules araignées et de petits acariens. Il n’y avait pas d’oiseaux, ils n’existaient pas encore. Pas non plus d’insectes butineurs, poursuit le savant, les fleurs n’avaient pas encore été inventées. Pas de papillons ni d’abeilles. Et c’est ici que les faits se rejoignent : « On n’aurait pas entendu ce bourdonnement familier, ces chants et ces cris auxquels on est habituées, mais seulement le bruissement du vent dans les arbres. La planète était dramatiquement silencieuse. » L’adverbe « dramatiquement » me paraît juste et il faut donc rechercher le juste équilibre. De manière poétique, Eugène Guillevic dans son recueil de poésie « Sphère » note dans deux superbes alexandrins : « Pas d’aile, pas d’oiseau, pas de vent, mais la nuit, / Rien que le battement d’une absence de bruit. » Sans doute existe-t-il des bruits négatifs, qui gênent, qui sont incongrus, qui sont agressifs… Cela dépend de chacun et cela change par le contexte. Si vous venez de perdre un proche, le bruit d’un rire vous irritera peut-être ? Si vous êtes triste, il est possible que le bruit de hauts talons emballe votre imagination vers le pied féminin, sa cheville fine, etc. Blaise Pascal avait déjà « pensé » ceci : « Il ne faut le bruit d’un canon pour empêcher ses pensées. Il ne faut que le bruit d’une girouette ou d’une poulie. » Et j’avoue que lorsque j’écris dans le petit matin encore sombre, dans la lueur d’une lampe de bureau et avec celle de l’ordinateur, je rejoins Marguerite Duras dans « Ecrire » qui soulignait que : « Ecrire, c’est aussi ne pas parler. C’est se taire. C’est hurler sans bruit. » Pour en revenir au bruit des pas dans l’hôpital, il est des tapages qui gênent beaucoup de monde : le volume exagéré de la musique qui s’échappe par les fenêtres ouvertes d’une voiture, les motos sans pot d’échappement, le vacarme d’une dispute, le vacarme nocturne (mais Franklin P. Jones écrit : « Rien ne vous rend plus tolérant au bruit d’une soirée chez vos voisins que d’y être invité »), le sifflement des balles et le grondement des canons, le tintamarre des klaxons dans un encombrement où personne n’y peut rien… Du côté des bruits harmonieux, on trouve le chant, la musique, les murmures, le gazouillis… les bruits de la nature en général, – ô ce clapotis d’une source, ce jaillissement d’une cascatelle ! – comme celui de la pluie, de la mer, d’un cheval qui galope dans une prairie, et puis le bruissement d’un lapin dans l’herbe, le crépitement d’un feu de bois, le ronronnement d’un chat… Fénelon habita quelque temps en Belgique, vers 1700, dans une belle demeure située aux limites de Pâturages et d’Eugies. Voici ce qu’il pense du bruit : « Dieu ne cesse de parler ; mais le bruit des créatures au-dehors et de nos passions au-dedans nous étourdit et nous empêche de l’entendre. »
Le bruit des hauts talons !
09 vendredi Mar 2012
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Cher Jacques,
Encore un beau témoignage d’anthropologie culturelle… Au fond, la véritable expertise, c’est celle du quotidien.
A bientôt
Patrice M.
Venant d’un homme de ta qualité c’est un grand compliment ! Merci !
Un amical bonjour de l’Avenue Fénelon à Pâturages !
Merci ! 😉
Le bruit des talons aiguilles… Voilà bien un bruit qui m’a toujours fascinée. Sur les pavés, sur un parquet, sur le bitume; sur le béton… Mais alors, dans un hôpital, moi aussi je le trouve incongru. Ca résonne, comme vous le dites, et ça ne doit pas être très amusant pour les malades, en effet. A ce propos, j’ai une petite anecdote : j’assistais une vieille dame dans son réveil après une opération. L’infirmier qui venait régulièrement contrôler son état était chaussé de baskets, à semelle de caoutchouc. Comme souvent dans les hôpitaux, le sol, lui, était en vinyle ou autre matière de ce genre. Du coup, ces chaussures provoquaient un incroyable grincement sur ce sol. Et la vieille dame de dire, du fond de ses brumes, dès le 2ème passage de ce brave infirmier « Ah, voilà le grinçant ! »
Belle journée.
Une très belle histoire, Angèle ! Merci 🙂
Octavio Paz a écrit : « Savoir parler a toujours été savoir se taire, savoir qu’il ne faut pas toujours parler. »
Je pense à ces jeunes qui imposent leur musique dans les transports en commun, aux personnes qui utilisent bruyamment leur GSM dans les lieux publics… Le silence fait peur : l’être humain est alors en « phase » avec son être intime…
Exact, Pascale ! Il y a aussi tout ce problème du téléphone, des sonneries, des conversations partout…
Je suis d’accord avec vous, les manifestations tapageuses sont dérangeantes. Mais il y a aussi le parfum ! Croyez-vous qu’il y a des femmes qui se parfument à outrance pour aller au travail ? Ce n’est pas vraiment l’endroit non plus, qui doit être équitablement partagé. Mais que voulez-vous, toutes nos valeurs civiques se perdent et nous ne pouvons pas grand chose avec les considérations d’extrême tolérance actuelle.
Bon sujet pour l’avenir, les parfums ! Merci Yvette ! 🙂
Fascinant et envoûtant !
Excellent choix de photo par ailleurs cher Jacques : un oeil averti et raffiné y découvre immédiatement que la dame de cette photo porte « glamoureusement » des « Full Fashion stockings », le réel summum de ce qui se fait de mieux et de plus beau pour mettre en valeur les courbes sensuelles de la jambe d’une femme.
Superbe prose par ailleurs !
Excellent week-end !
Philippe
Ton avis me touche, venant d’un homme de goût ! Merci ! Bon WE également….
Tous nos sens sont mis en éveil par votre billet, Jacques. Et cela m’évoque une des phrases qui ouvrent le film « L’homme qui aimait les femmes » de François Truffaut, prononcée par Bertrand Morane (Charles Denner) : « Les jambes des femmes sont des compas qui arpentent le globe terrestre en tous sens, lui donnant son équilibre et son harmonie »
En effet, un film remarquable, Alain ! Merci…
Les talons n’est qu’un petit plus qui grandit l’enveloppe charnelle. Mais qu’en est t’il vraiment de la grandeur âme et d’esprit. Cela n’est qu’artifice et cache la beauté intérieure.
C’est en tout cas « attendrissant » je trouve ! L’idée de se sentir bien dans sa « peau » !